Designer industriel multifacette, Satyendra Pakhalé repousse en permanence les frontières entre des disciplines supposées antinomiques : industrie et ar- tisanat, production de masse et édition limitée, meu- ble et objet. Rencontre avec ce designer singulier établi à Amsterdam, dont les créations se retrouvent aussi bien chez Cappellini, Offecct ou TUBES que chez la galeriste Gabrielle Ammann qui présente son Black Swan au PAD London ce mois-ci…

Comment définiriez-vous le mot « design » ? Est-ce un terme né- cessairement connoté industrie ou peut-il intégrer l’artisanat ?

J’ai toujours été très circonspect à propos des définitions. A mon sens, le design recouvre de multiples réalités humaines. Que le processus de production ait lieu dans un environnement industriel de pointe ou dans un atelier artisanal – voire qu’il résulte d’un mélange des deux, comme avec un Boeing 747-400 –, il s’agit toujours de design. Peu im- porte donc le mode de production, le but est de savoir à qui toute création s’adresse et pourquoi elle existe.

Etes-vous toujours autant intéressé par le design industriel ou vous laissez-vous aujourd’hui tenter par les sirènes de l’édition limitée ?

Notre principal objectif de création reste le design industriel destiné au grand public, mais abordé de façon anti-conventionnelle. La contrainte, inhérente à tout projet de ce type, crée des défis très ex- citants à relever. Or, pour mener à bien un tel processus, il faut pou- voir s’appuyer sur un partenaire industriel. Nous n’aurions jamais pu créer les radiateurs Add-On sans TUBES ou les poignées de porte Amisa sans Colombo Design. Parallèlement, notre fascination pour les matériaux nous pousse à mener des « projets de studio ». Ce sont ces expérimentations qui ont, par exemple, donné naissance à des pièces produites soit industriellement (la table Grip par Offecct ; le fauteuil Fish par Cappellini), soit éditées en séries limitées (les chaises Horse, Roll Ceramic, Carbon…).

Une convergence qui vous fascine et aiguise votre sens critique. Au- jourd’hui, les événements culturels sont merchandisés tandis que les entreprises commerciales revendiquent une aura culturelle…

L’agressivité commerciale est aussi extrême qu’omniprésente, c’est une réalité planétaire. Depuis toujours, nous avons choisi de ne pas subir ce contexte, mais plutôt de nous l’approprier de façon perti- nente. Nous avons conçu pour Alcantara, Tod’s ou Hästens des pro- jets à forte résonnance culturelle, à l’image de « The Endless Alcan- tara » présenté au Maxxi de Rome. De telles collaborations nous permettent de regarder le monde d’un œil neuf et d’explorer la frontière entre culture et commerce…

Vous affirmez que votre approche est « plus proche de l’art que du design »…

Nous abordons la réalité industrielle la plus technologique avec une

exigence absolue du détail. Notre approche design ne repose pas seu- lement sur ce que l’on appelle communément « la demande du client », mais s’attache avant tout à répondre sans compromission aux problématiques liées au contexte culturel, ce qui est le propre des disciplines artistiques.

Vos chaises sont baptisées Horse, Fish, Panther… Pourquoi les formes zoomorphiques vous intéressent-elles tant ? Est-ce parce que vous voyez en elles un langage universel ?

Je considère que les objets qui nous entourent sont d’authentiques compagnons. Toutefois, dans nos sociétés industrielles de consom- mation, nous avons perdu ce lien émotionnel avec l’objet. Depuis le début, notre aspiration a donc été de favoriser la relation entre l’ob- jet et son utilisateur en nous appuyant sur les qualités sensorielles des matériaux, des textures, des formes et même des noms. C’est sans doute un langage universel, même si ce dernier prend racine dans ma propre histoire. L’originalité vient de l’origine…

Parlez-nous de Black Swan, le fauteuil en marbre que vous exposez en ce moment à Londres…

Je suis fasciné par les matériaux et la façon de les travailler. Cela fait un certain temps déjà que nous menons des expérimentations sur la pierre et le marbre, en combinant outils high-tech (scans 3D, design assisté par ordinateur) et travail de la main. Black Swan, qui est présenté au PAD London pour la première fois par la galerie Gabrielle Ammann, est le résultat de cette exploration. Non pas une repré- sentation formelle du cygne, mais plutôt d’une analogie formelle poétique en marbre Nero Marquina, d’où son nom.

Au-delà du cliché, pensez-vous que l’Inde et ses savoir-faire ont joué un rôle important dans votre travail ?

C’est peut-être un cliché, mais c’est aussi une vérité : chaque per- sonne ayant grandi dans un contexte culturel donné a des racines plongées dans ce contexte spécifique. Mais en voyageant, j’ai com- pris que nous résonnions tous émotionnellement de façon assez similaire. Tout l’enjeu consiste donc pour moi à intégrer cette notion de dénominateur émotionnel commun, sans pour autant effacer les spécificités culturelles.